Bienvenue sur le blog consacré à CANINES, le roman de Janus paru aux éditions Xenia.

mardi 8 juin 2010

J. L. Kuffer: "De l'horreur ordinaire"

Nous reproduisons ici un article chaleureux publié sur la page Facebook de Jean-Louis Kuffer:

Un antipolar à lire absolument, dans la lignée de La Promesse de Friedrich Dürrenmatt: Canines, de Janus, aux éditions Xénia.

Pas un cadavre à la clef, sauf celui d'un chien dans le rôle du bouc émissaire. Des faits calqués de près sur ceux d'un drame réel aux apparences ordinaires et non moins extraordinaire dans sa réalité sordide, reflet d'une société minée intérieurement par l'indifférence, plombée extérieurement par l'incompétence.

Les faits: en février 2002, un petit garçon turbulent de 7 ans, prénom Luca, fils d'aubergistes italiens dans un village valaisan, est retrouvé inconscient et presque nu dans la neige, couvert de griffures et d'ecchymoses, comme s'il avait été fouetté, battu, traîné dans les ronces, peut-être violé ? Non: la piste du pervers sadique est vite écartée, mais tout le reste de l'enquête sera tissée de lenteurs, bavures, gâchis lamentable, avant que le seul coupable désigné, bouc émissaire parfait, ne soit désigné en le "personne" d'un chien, un misérable chien finalement liquidé comme le Mal incarné.

Or, c'était compter sans la conviction intime des parents de Luca, et l'obstination du détective sédunois Fred Reichenbach qui mena son enquête parallèlement aux investigations et aux mesures, incroyablement sommaires, de la police et de la justice. De ces faits réels, constituant l'affaire Luca, la Télévision romande a nourri une émission aux témoignages accablants. (http://www.tsr.ch/video/emissions/zone-ombre/3136-l-affaire-luca.html.) Une plainte n'en a pas moins été déposée contre ce document exceptionnel. Toujours du côté "réel" de l'affaire, Luca vit aujourd'hui en Italie avec sa mère (son père est revenu travailler en Suisse alémanique), aveugle et tétraplégique mais plein de joie de vivre (!) et entouré de solidarité. Les vrais coupables présumés, eux, se débrouillent avec leur conscience de fils de Suisses au-dessus de tout soupçon, protégés jusque-là par toutes les parties constituées, loi du clan oblige. La réouverture de l'enquête n'est cependant pas exclue. L'omertà pourrait encore prendre du plomb dans l'aile. Ce serait la moindre justice...

Côté roman, Luca se prénomme Gianni et le détective, en pleine crise existentielle auprès d'une acariâtre Babette accro de séries policières, Jack. Dans les grades largeurs, le roman se tient, au dire de son auteur pseudonommé Janus, tout près des faits avérés. En revanche, l'ouvrage se distingue du document brut ou du témoignage par une immersion humaine et une mise en perspective éthique de toute l'affaire qui élève considérablement le "débat" et touche à la littérature.

Point de cadavre, donc, dans Canines, mais une plongée dans l'abjection ordinaire faite de négligences meurtrières, de bavures à répétition, de petites lâchetés aux grandes conséquences, dans une sorte de complot de la médiocrité liguée contre toute vérité dérangeante. Janus, avec un vrai talent de romancier relevé en préface par l'avocat genevois Charles Poncet, construit un roman lesté d'humanité et de révolte combien légitime, aux personnages bien campés et à la densité émotionnelle constante, non sans burlesque aussi dans la relation "à la Deschiens" du détective et de sa terrible Babette. Sans caricaturer les figures de ce drame encore à vif, il brosse une frise de personnages aussi lamentables que sûrs de leur bon droit (du flic débile au juge informateur borné, en passant par les médecins indignes et pleutres ou ce juge non moins cuistre et vulgaire dans son incompétence) mais avec une réelle épaisseur humaine, dans une écriture fluide et ferme. Par delà l'anecdote locale (tout cela pourrait se passer en Sicile ou aux States, cela va sans dire), ce livre nous confronte à la peu reluisante réalité humaine, sans donner dans le nihilisme pour autant.

Point de cadavre vraiment ? On ne dévoilera pas, à vrai dire, la triste issue de cette triste dernière enquête de Jack le Juste au pays des faux jetons...

Janus. Canines. Editions Xénia, Vevey.

http://www.editions-xenia.com/livres/canines/

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